15. Ce matin, Jukin a bien mal à la tête.

Ça lui a pris comme ça, dès le réveil. Pourtant il avait une impression évanescente d’avoir fait des rêves doux et apaisant cette nuit. Il ne se sentait même pas encore de mauvaise humeur, malgré la douleur. Ce n’était donc pas un malheur psychologique qui lui causait ce trouble. Quelque chose, quelque part dans son corps, clochait. Il s’assit en tailleur, ralentit sa respiration et ferma les yeux. Comme l’on retrousse une jambe de pantalon, son esprit s’était retroussé en lui-même. Méthodiquement, Jukin parcourait tout son corps. Il communiquait intimement avec lui. Ses organes lui répondaient un à un, puis ses os, ses fibres nerveuses…
La transe s’acheva quelques heures plus tard. Insatisfaisant, les réponses étaient toutes positives. Aucun dysfonctionnement interne. Il se déplia, posa sur sa table de chevet le calepin de notes qui était resté sur son lit. En effet, à l’heure du coucher, il avait eu envie d’écrire son autobiographie. Cela c’était soldé par un échec, mais il avait trouvé rapidement le sommeil.

Un lavement approfondi pourrait peut être résoudre le problème se dit-il tout à coup. Il ne tergiversa pas bien longtemps. A peine arrivé à l’institut, on l’installa dans une machine à laver. Il ne savait pas à quoi s’attendre, on ne lui avait donné aucune instruction. Aussi subitement qu’un éclair, il fut immergé dans l’eau. Et dans l’instant suivant, tout était aspiré. Il clignotait d’eau. Les cycles étaient tellement rapides et puissants, qu’ils lui laissaient cette impression d’être gonflé totalement par le liquide. Comme-ci le moindre espacement dans son corps était envahit ; de ses poumons, à l’intérieur de ses yeux. Ebouriffé comme après être passé au travers d’une tempête, il était déjà redéposé sur le trottoir, son mal de tête un cran plus douloureux.

Sûrement abruti par la souffrance, il s’engouffra chez le magnétiseur du coin. Jukin garda son regard tourné vers la fenêtre sur sa droite, car l’homme assis derrière son bureau était trop laid et odorant. Cet inconfort ne faisait qu’aggraver les choses. L’homme avait des mains immenses, même du coin de l’œil, Jukin le remarqua. Il le laissa les passer le long de son corps, comme un scanner organique. Le magnétiseur émettait un bourdonnement simultanément, c’était totalement ridicule. Il décida cependant de ne pas l’interrompre. Avec force de conviction dans la voix, entre deux bourdonnements, il lui assurait que le mal refluait. Jukin ri beaucoup, même après avoir payé la somme indécente réclamée. Si bien que la souffrance s’était légèrement atténuée. Pendant une fraction de seconde, il s’égara à la naïveté et se demanda si peut être ça n’avait pas fonctionné. Evidement, l’euphorie passée, la douleur vrilla de nouveau ses tempes.

Jukin rentra, mécontent. En passant devant la fenêtre du séjour, il vit un crayon. Un crayon en l’air. Il s’immobilisa et regarda son reflet de plus près : il avait un crayon dans l’oreille. Enfoncé pratiquement jusqu’à la gomme ! Il le retira aussitôt, délicatement. La douleur diminuait au fur et à mesure que la mine sortait. Enfin soulagé, une angoisse monta en lui quand il réalisa la longueur de crayon qui avait passé la journée dans son cerveau. Il pensa un instant qu’en l’utilisant, on pourrait peut être écrire son inconscient, ou ses pensées cachées, ou ses idées futures. Ne se sentant pas bien malgré tout, il déposa le crayon sur le rebord rond de la fenêtre. Il alla se coucher, bien qu’il fasse encore profondément jour. Il s’endormit aussitôt. Sur la table de chevet, trônait encore le carnet vierge de son autobiographie. Mais nulle part de quoi l’écrire.


1 commentaire:

  1. Héhé ! ça me fait penser à La bête à Mait'Belhomme de Maupassant. Mais disons en moins... normand !
    Bisous Monsieur Jedonnepludenouvelles

    Audrey Cheval

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