14. Ce matin, Jukin a les idées claires.
Le tube néon qu’il a installé un mètre au dessus de son lit pour se réveiller plus rapidement, le brûle d’une lumière blanche. Tellement forte qu’il a l’impression qu’elle éclaire sa pensée. Les idées noires disparaissent entre les circonvolutions de sa cervelle. Total, le réveil n’en est pas moins brutal. Ce qui lui donne l’impression de vibrer légèrement. Le passage du sommeil profond à un immédiat état de conscience est désagréable, mauvais. Pourtant, la lumière blanche dans son esprit fait naître des envies joyeuses et altruistes. Il désire aider une vieille à traverser, un enfant à faire ses devoirs, un sourd et muet à apprendre le langage des signes.
Plein d’entrain, il sauta de son lit et sortit de sa chambre. Dans le séjour, la lumière naturelle rayonnait déjà. Cependant, son cerveau ne subissait plus les effets du néon. Les idées noires en profitèrent pour ressurgir et comme une vengeance, elles submergèrent complètement son cerveau. Jukin alla se poster dans sa salle de bain, et par le petit trou du mur du côté, il observa les fenêtres de l’immeuble en face. Il se l’était interdit jusque là, mais ne pouvait pas s’en empêcher aujourd’hui. La voisine arriva dans sa salle de bain et ôta son peignoir. Il profita de ses courbes harmonieuses, la main dans le caleçon. Puis il enfila à la va vite des vêtements quotidiens et rejoignit une rue. Un petit homme maigre le croisa, il le frappa violement au visage. Le temps qu’il l’observe s’affaler ridiculement au sol, il s’immobilisa sous une enseigne lumineuse blanche. Des photons purs atteignaient sa matière grise. Les pensées noires refluèrent immédiatement. Jukin se précipita dans l’obscurité d’une ruelle perpendiculaire, s’accroupi et pleura.

Juste avant que les idées sombres ne l’envahissent de nouveau, il réalisa qu’il avait interrompu un équilibre primordial en lui. Qu’il devait absolument le rétablir. En attendant, il avait déjà regagné l’allée principale, volé la glace d’un petit garçon uniquement pour la jeter dans la poussière, et shooté si violement dans le talon d’une anorexique qu’elle s’était non seulement écroulée, mais que sa jambe s’était luxée de sa hanche. Il luttait intérieurement contre son lui obscur, ce qui lui semblait au-delà de ses forces. Mais entre une claque à une vieille handicapée ridée et un doigt dans l’œil d’un innocent, un éclair de lumière lucide avait électrocuté son cerveau : il devait retourner ces pensées égoïstes contre lui.
Le premier doigt tranché au couteau de chasse ne fût pas le sien, mais l’intention y était. Il se fit alors des entailles sur le dessus des mains, il était sur la bonne voie.
Le second doigt tranché ne fût pas le sien non plus. Malheureusement des passants aléatoires faisaient les frais de ses hésitations à s’automutiler. Il passa une cordelette autour de son coup et serra vivement. Sa peau se déchirait au frottement de la fibre. L’équilibre commençait à se rétablir. Mais il devait accomplir un acte symbolique rédempteur, un don de lui-même afin de mériter le retour total au calme.
Il trancha son petit doigt de la main gauche. Ça craqua comme une carotte crue sous la lame. Le geste net et précis cautérisa la plaie instantanément. Il ne ressentit rien, la douleur était hors sujet. Lentement, il regagna le chemin de son domicile. Son regard flottait, son corps avançait automatiquement. Arrivé dans sa chambre, il grimpa sur son lit, débrancha et décrocha immédiatement le néon.

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