024-1.
Ce matin, Jukin se vole à main armée.


La porte de sa chambre claqua. Il se réveilla en sursaut et aperçu l’heure avant d’être bâillonné. 8h50. Dix minutes avant que son réveil ne sonne. Deux hommes le ligotèrent et le transportèrent, tandis qu’un troisième ouvrait et fermait les portes. Il avait aussi à charge l’observation, afin qu’ils restent totalement furtif. Le jour pointait à peine, mais quand ils l’emmenèrent à l’extérieur, Jukin put apercevoir leurs tenues militaires, à la faible lueur du soleil encore bleu, avant d’être jeté à l’arrière d’une camionnette sombre.
Le voyage fût pénible, car sa position, les mains attachées dans le dos, était très inconfortable. Son épaule droite se meurtrissait contre les reliefs métalliques du plancher, à chaque à-coup du véhicule. Quand les virages étaient serrés à gauche, ses mains s’écrasaient contre la paroi à cause de son propre poids. De plus, un massif fusil mitrailleur pointé entre les deux yeux, persuadait le train du sommeil de ne pas faire arrêt à la station Jukin. Il ne put même pas somnoler.

Enfin arrivés, les soldats le tirèrent dans un cachot, aussi brutalement que dans l’estafette. Le lieu était parfaitement humide, sentant la mousse à plein nez. Cette odeur forestière était agréable en elle-même. Mais dans un lieu clos, elle renvoyait sans cesse à la privation de liberté. Etait-ce là une manœuvre pour affaiblir la volonté des prisonniers ? Il n’aurait pu l’affirmer. Cependant, les conditions drastiques de sa détention, à savoir un lit constitué de deux feuilles de carton moisi empilées pour tout meuble, étaient clairement un moyen de réduire tout bonhomme en masse gluante aisément manipulable.
Il eut ainsi tout le loisir de se demander ce qu’il avait bien pu faire. Dans son passé, qu’est ce qui allait à l’encontre de l’armée et des intérêts du gouvernement ? Même en réfléchissant à certains évènements troubles de son passé, il estimait son enlèvement hors de propos. Il aurait pu être simplement inculpé et écroué. Alors pourquoi ce kidnapping secret ? Jukin avait beau retourner le problème dans tous les sens, un élément lui échappait
Sans fenêtre à sa cellule, il put difficilement estimer le temps de sa captivité. Elle lui parut interminable. Son horloge biologique n’avait plus aucun repère et tournait à vide. Il eut l’impression de dormir beaucoup, mais les rares temps de veille étaient un supplice. On lui apportait à manger parfois. Il soupçonnait tout de même que les horaires étaient volontairement chaotiques pour le déstabiliser d’avantage, s’il était nécessaire.

Finalement, on le sortit de son trou pour le jeter dans un bureau. La lumière blanche transperçant la grande baie vitrée lui blessait les yeux. Pendant un long moment il ne vit qu’une forme noire indistincte à la place de la tête de son interlocuteur. Ce dernier, bien qu’encore flou, semblait extrêmement massif et puissant. En tout cas, on ne pouvait pas manquer la véhémence de son ton ni se tromper sur ses intentions.
L’homme posa alors sa première question. Jukin ne la comprit même pas. Après quelques instants de bouche ouverte, il reçut la boucle d’une cravache en pleine joue. Puis une seconde fois au même endroit, encore plus fort. Il sentit la goutte de sang couler sur sa peau. N’ayant rien à dire de plus, quand la 2ème question arriva, il se contenta de fermer les yeux. Cette fois, ce sont ses larmes qui coulèrent le long de ses joues à l’impact du cuir déchirant.
Ce petit jeu dura encore. Il ne pouvait rien répondre, car il n’avait aucun rapport, aucune connaissance de ce dont on le questionnait. Dans une sorte de lucidité du désespoir, le visage tuméfié, il réussit à souffler : « je m’appelle Jukin. » L’homme se suspendit dans sa furie : « pardon ? » Il cracha encore au milieu d’une bulle de sang : « Jukin ! »

Les conditions de son séjour changèrent aussitôt. On lui octroya une chambre avec fenêtre et cabinet de toilette individuel. Son identité réelle fût ensuite validée. Il s’agissait d’une petite confusion avec un certain M. Vagal. Ce dernier possédait un blog contestataire, hébergé à une adresse quasiment identique à celle du vieux blog de Jukin. Ils avaient donc pêché la mauvaise adresse IP et remonté jusqu’à lui. Totalement furieux devant cette injustice, ces manières inadmissibles avant même d’avoir vérifié son identité, il resta cependant courtois. Pour le moment, il prenait sur lui et gardait son calme apparent. Un projet de vengeance s’échafaudait déjà dans son esprit…


(suite la semaine prochaine...)

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