21. Ce matin, Jukin a décidé de faire ressortir son côté animal.

Au dehors, raisonnaient les bruits du carnaval. La liesse battait son plein et il grimpa au grenier. De là haut, il pouvait observer les festivités. Après quelques instants à détailler les costumes, une conclusion s’imposait à lui : ils étaient nuls ! Quelle déception pour lui qui estimait tant l’idée de se travestir. Les gens faisaient ça par-dessus la jambe, sans envergure. Comme s’ils se moquaient de l’idée du déguisement, qu’ils prenaient ça à la légère, pour un jeu. Pendant que Jukin se griffait l’intérieur du bras, les yeux révulsés par ce qu’il voyait, il eu son idée.
La foule continuerait à gesticuler dans la rue et ça durerait jusqu’aux premières lueurs du matin suivant. Il disposait donc de temps devant lui, et il en avait besoin. La première chose à faire était une liste du matériel. Il rassembla tout ce qu’il avait déjà dans son atelier et partit vadrouiller. Connaissant l’itinéraire du carnaval, il emprunta les ruelles désertées, car tout était broyé sur le passage de la procession. Ce qui manquait fut rapidement rassemblé. Qu’il le trouva dans des cours isolées, des décharges ou sur des toits.

La nuit avait envahi la ville, mais l’effervescence régnait toujours. Les gens n’existaient plus, tant ils étaient agglutinés. Ils formaient une agglomération organique, un carnaval grouillant. Tous ces corps se déversaient de rue en rue, émettant un bruit festif et des lumières vibrantes. Le carnaval arriva à la grande place de la ville, plongée dans l’obscurité. Le rituel prévoyait un petit tour du lieu avant de continuer.
Tous les balcons étaient occupés par les habitants, attendant fiévreusement de pouvoir hurler leurs frustrations, couvertes une fois l’an par le vacarme de ce serpent humain. Le reptile d’âmes s’enroula sur les pavés et détruisait les pensées négatives. Elles jaillissaient dans l’air en une myriade d’étincelles qui explosaient de joie en crépitant. Partout où la procession passait, les esprits s’allégeaient des tensions sociales quotidiennes.
Le tour de la place s’achevait. Tout le carnaval était réuni. La tête du cortège approchait d’un échafaudage installé en face de l’allée centrale. Quand ils le dépassèrent, des cellules photoélectriques placées judicieusement envoyèrent le signal d’allumage du système. Le podium construit sur l’échafaudage s’illumina. Des spots surpuissants placés tout en haut de l’église convergeaient vers la scène. Le carnaval entier se figea sur place et un murmure vint accompagner la découverte d’une silhouette brillant en son milieu.

Jukin avait réussi son effet, le minutage était idéal. En cet instant figé, tout le monde admirait son costume de marmotte à pelage gluant. Le podium tournait lentement sur lui-même, si bien que le scintillement de la fourrure envoyait de petites étoiles dans tous les yeux écarquillés. Il avait récupéré une fourrure pour confectionner la majeure partie de son œuvre. Le bout des pattes avait été réalisé grâce à un vieux paillasson trouvé dans un terrain vague, de la même couleur que la fourrure. Matériau idéal, puisqu’il était fait pour que l’on marche dessus.
La ressemblance étonnait, dans la mesure où Jukin avait intégré avec succès la posture de l’animal à sa morphologie humaine. Les yeux placés sur les côtés au sommet de la tête, permettaient de voir grâce à un jeu de miroirs astucieux. Justement la foule en contrebas se rapprochait de lui. Doucement, le podium descendit dans un léger bruit mécanique, couvert par l’agitation grandissante du carnaval. L’agglomération organique commençait à réaliser que la marmotte ruisselait réellement. Certains s’inquiétaient même qu’il ne s’agisse d’une authentique marmotte géante.

Autant le mécanisme du podium et son déclenchement par la cellule photoélectrique n’avaient posé aucun problème, autant le rendu du pelage luisant avait été un vrai casse tête, un écheveuleur de crâne. Jusqu’aux derniers instants, il n’avait su comment procéder. Déjà, beaucoup de temps avait été perdu à trouver le meilleur rendu gluant.
L’huile d’olive s’était révélée le summum. Cependant, l’effet ne durait pas, car l’huile était absorbée rapidement et se ternissait. Ce qui donnait l’impression d’une marmotte humide tout au plus, et ce qui ne le satisfaisait pas, bien entendu. Au moment où il s’était résigné justement, il aperçu des bouteilles de plongée vides, qu’il gardait depuis très longtemps. La solution se présenta alors de toute la force de son évidence. Il allait remplir les bouteilles avec l’huile d’olive. Le tube du détendeur percé de trous et fixé autour de l’encolure suffirait à répandre en permanence la substance gluante. Même la bosse formée par les bouteilles sous le costume ajoutait au réalisme. Toute la fourrure ruisselait, gorgée de la matière grasse luisante.
Les gens les plus proches commençaient à faire la grimace. Leurs individualités se détachaient du carnaval. La marmotte avait atteint le sol pavé quand tous furent désagglomérés. Jukin fit un pas sur la pierre. La température se rafraîchit tandis que le podium remontait automatiquement. L’effet du costume était parfaitement réussi. Personne ne voulait le toucher.




2 commentaires:

  1. Bon bah je viendrais peut-être au prochain carnaval de Caen alors ! ça risque d'être sympa si Jukin y fait un tour !
    Audrelfe

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  2. vu le niveau, ya moyen qu'il vienne leur montrer ce que c'est !

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