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Ce matin, Jukin ne s’est pas réveillé chez lui.
titre proposé par Candice

Les yeux encore fermés, il profitait de cet instant fugace entre deux mondes. Il se savait réveillé mais le doute persistait. Sa pensée consciente était embrouillée de fantasmes, de sensations floues toutes enchevêtrées et superposées. Cet état fou était agréable comme une ivresse. Insaisissable en pleine possession de ses moyens rationnels.
Savourant ses sensations, il avait l’impression que ses draps étaient plus doux qu’à l’accoutumée. Même son ressenti corporel devait être altéré. Il succomba au bonheur de son érection matinale. Elle était dure comme du bois.
C’est alors qu’une main se posa dessus. Et ce n’était pas la sienne. Malgré le sursaut, elle persista et commença à le caresser. Très doucement, de la pulpe des doigts, c’était presque chatouilleux. Il ne pouvait deviner qu’une forme sous le drap. Elle ondulait sensuellement au rythme de la main. Jukin sentait son membre comme jamais, les yeux toujours fermés, il l’imaginait violacé.
Maintenant la main l’empoignait fermement à le rendre fou et une seconde main glissa sur ses boules pour le supplicier. Il ne respirait déjà plus. Expédié dans le 3ème monde, son esprit flottait de délectation. Il éprouvait pleinement cette joie spontanée, alimentée par ces mains sulfureuses. Les lents mouvements des doigts qui serraient fortement son membre l’envoûtaient.
A cet instant une bouche aussi humide que gourmande l’engloutit. Il ne put retenir un cri d’extase avant de se laisser aller. Aussi dur qu’il était, il se sentait fondre comme une guimauve. Et malgré la surprise, les gestes étaient tellement fluides, inscrits dans une logique paraissant si évidente, qu’il ne se posait aucune question. C’était si naturel qu’il lâchait totalement prise. Sans s’en rendre compte, sa main glissa doucement sur les longs cheveux soyeux et commença à les caresser. Son corps tel qu’il l’appréhendait autrefois avait disparu. Son corps était désormais sur le même plan que son esprit, vivant directement en sensations. Plus rien d’anguleux ni de solide. Les frissons vibrants s’enchaînaient à mesure que les mains parcouraient son bas ventre et ses cuisses. La bouche insatiable n’avait de cesse de remuer son âme. Et la fine langue de braise venait brûler encore un peu plus ses chaires.
Dans une vague fluide, une main experte lui enfila un préservatif. Toujours sans brusquerie ni interruption, il se retrouva en elle. La volupté intense fit éclater toutes les limites. Elle plongea dans son cou, toujours sous le drap. Il laissa ses bras la serrer très fort et découvrit ses gémissements si excitants. Déjà, leurs respirations étaient simultanées et leurs transpirations se mélangèrent pour achever la fusion. Le plaisir enflait de minute en minute, tout avait disparu autour. Ne persistait que la sensation, l’oubli. Eux-mêmes n’existaient plus. La tension extatique atteint l’orgasme. Ils se serrèrent. Le corps physique reprenait le dessus. Suzanne fut chavirée par les contractions de son membre au fond d’elle. Jukin libérait des jets d’une puissance inconnue, il cria de nouveau. Le tourbillon dura longtemps encore après que la jouissance fut consommée. Ils ne pouvaient plus bouger. Lentement, ils redescendaient vers le lit. Enfin ils atterrirent dans la réalité.

Jukin avait ouvert les yeux, Suzanne avait rejeté le drap. Après un regard de complicité, un moment passa à savourer le présent. Quand finalement ils s’ébrouèrent et se levèrent, elle proposa le petit déjeuner. Ils étaient nus dans la cuisine, elle préparait le plateau. Jukin ne résista pas longtemps à venir se frotter derrière elle. Affamée, elle le repoussa gentiment.
Une fois dans le salon, ils grignotèrent copieusement. Il lui caressa les seins et commença à l’embrasser trop lascivement à son goût, elle s’esquiva. Après avoir débarrassé le petit dej, quand Suzanne remit de l’ordre à la chambre, il agrippa avidement ses fesses. Cette fois elle le repoussa fermement et lui reprocha son obsession. Ses fines lèvres roses se pincèrent. Sans brusquerie elle exprima sa retenue. Elle espérait partager d’autres choses avec lui, estimant qu’une telle fusion pouvait s’étendre sur d’autres plans, qu’ils s’en trouveraient enrichis et que l’extase elle-même en serait grandie. Dans le prolongement de sa parole, Suzanne alla prendre sa douche, pour laisser le temps à Jukin de se calmer.

Une fois seul il put rassembler ses idées. Ça avait été tellement bon et fort que son désir affolé ne s’arrêtait plus. Suzanne et lui s’étaient croisés des mois plus tôt, sans faire vraiment connaissance ni pouvoir échanger leurs contacts. La veille ils s’étaient rencontrés fortuitement, car Suzanne était revenue habiter la même ville. Le plaisir étant partagé ils firent naturellement connaissance. Et le plus logiquement du monde, ils dormirent chez Suzanne, nus. Mais toujours sans consommer ce désir qui naissait.
En se repassant le film des évènements, Jukin réalisait qu’il avait totalement cédé les commandes à son sexe depuis le matin. Tout à coup il était confus et même honteux de ses gestes. Sans plus réfléchir, il attrapa un stylo et une feuille sur le bureau afin de s’excuser. La note rédigée rapidement fut laissée derrière lui avant de quitter l’appartement. Il se disait que c’était la meilleure chose à faire. Il ne pouvait plus assumer ses pensées, son réel désir devant elle. Elle méritait mieux que cela.
Une fois dans la rue, il se sentit soulagé de sa culpabilité. Elle resterait sans cet appartement, avec Suzanne.

Quand elle sortit de la salle de bain en lingerie sexy, Suzanne ne trouva pas Jukin dans la chambre. Ni nulle part chez elle. Prête à assouvir son désir et le sien, elle trouva la note. Quel dommage qu’il ait réagit si brusquement. Elle avait eu l’intention de faire monter leur désir, que ça ne devienne pas banal, tout en comprenant et en étant flattée de ses gestes. Elle regrettait de l’avoir blessé, n’imaginant pas du tout qu’il refoule ainsi son désir spontané. Mais elle ne pouvait renier ses paroles sincères. Elle accepta avec tristesse et frustration sa décision. N’ayant laissé aucune adresse, elle n’avait pas moyen de le retrouver. Suzanne espérait profondément qu’il reviendrait.

Une vieille femme affolée interpella Jukin dans la rue. Son chat était bloqué en haut d’un arbre. Heureux de penser à autre chose, il entreprit aussitôt l’escalade. Il regretta bien vite son enthousiasme, car l’arbre était épineux. Même avec 1000 précautions, à chaque fois qu’il posait sa main, il se piquait. C’était d’autant plus surnaturel que là où le tronc était bien lisse, il se blessait douloureusement sur des épines invisibles. Le calvaire dura un bon moment. En plus la vieille hurlait hystériquement, croyant à chaque instant que son chat immobile faisait une chute mortelle. Et ce foutu chat avait peur de lui. Il fuyait sur une autre branche à chaque fois qu’il tentait une approche. Bien entendu, l’animal ne semblait se piquer nulle part.
Finalement il l’attrapa, tout énervé et se laissa tomber. La vieille devint soudain trop enthousiaste, comme s’il venait de sauver la terre entière. Elle sautait partout de façon grotesque et l’embrassait sans gène. A voir toute cette énergie, Jukin se dit qu’elle aurait très bien pu aller le chercher elle-même ce chat. Puis la vieille lui proposa de prendre le thé chez elle pour le remercier. Il accepta de bon cœur, il avait besoin d’un réconfort.
Marthe vivait à moitié dans le noir, si on exceptait son immense télé toujours allumée, le son coupé. Le salon était vaste mais vieillot. Difficile à distinguer, le sol devait être un vieux plancher car d’affreux craquements couinaient sous leurs pas. Marthe lui offrit un fauteuil et alla à la cuisine. Il profita de cet instant de calme pour observer l’intérieur. Bien qu’il soit assis, il percevait encore des craquements un peu étouffés.
Un motif rayure recouvrait tous les murs et les meubles, c’était quelque peu oppressant. Heureusement qu’il y faisait frais. La vieille revint avec son plateau à thé et s’installa dans l’autre fauteuil. Le vieux cuir devait être tout sec car il fit un terrible bruit de déchirement. Marthe était très bien conservée pour son âge, elle avait encore un charme attirant, même pour des hommes plus jeunes. Quand elle posa la main sur le genou de Jukin, toute sa frustration sexuelle remonta. Elle le complimentait et commença à caresser sa cuisse. Il percevait l’assouvissement possible de son désir, ça l’excitait, alors il se laissait faire. Elle lui proposa de lui faire visiter sa chambre à l’étage, il la suivit.
Dans le couloir vers l’escalier, le craquement continua. Tout comme dans l’escalier qui devait être vétuste. Enfin, dans la chambre à l’épaisse moquette murale, le craquement redoubla. Jukin se figea alors, car le sol était aussi en moquette. Dans cette pièce, rien ne pouvait craquer. Marthe vit son changement d’expression, elle s’approcha dans un autre grincement. Lentement, elle posa sa main sur sa joue. C’était comme du carton ! Sa peau à l’allure normale était en fait rêche comme du papier de verre.
Toutes les lamentations de plancher usé et de cuir desséché depuis leur rencontre jouèrent dans sa tête. Les tiraillements du derme de la vieille prirent la place des images de matériaux qui y étaient associés. L’écoeurement monta aussitôt. Il sourit à Marthe mais fit volte face et sortit de la maison en un éclair. Se retrouvant seule, elle cracha salement puis cria : « encore raté ! »
Une fois dans son jardin, elle ressortit l’échelle de sa cachette et la posa contre l’arbre. En un mouvement souple Marthe avait déjà replacé son chat en haut de l’épineux.

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