20. Ce matin, Jukin voulait un meurtre

Il avait envie de tuer. Une rage primitive, mêlée au mystère de la mort, lui remuait l’estomac. Comme ci prendre une vie humaine, pouvait le faire accéder à une connaissance interdite au commun des mortels. Oser tuer son prochain, se placer au dessus de tous, comme un dieu parmi les hommes décidant de leur sort. Puis plonger les mains dans un cœur vivant pour en ôter tout mouvement. Ce geste, ne serai-ce que l’idée de ce geste, pénétrer la chair palpitante et la rendre inerte, conférait aussi bien à la folie totale qu’à la clairvoyance absolue. Ce cœur s’arrêtant de sa main, dans sa main, libérait le sens pur de la vie. Mais aussitôt disparaissait. L’essence de la vie était dans ce passage, cet instant sans durée où elle n’est plus.
Il s’engouffra dans un long tunnel humide. A tout moment, une chauve-souris pouvait surgir et virevolter le long des pierres froides suintant l’eau des égouts qui s’écoulait au dessus. Constituée d’un mélange de différentes mousses, relevée d’une pincée de terre mouillée et de craie, l’odeur fraîche n’était pas désagréable. La lumière diffuse provenant du bout était relativement douce et étendue, ce qui épargnait de toute ombre menaçante. Bien qu’au milieu d’un tunnel, on s’y sentait plutôt bien, comme dans une grotte. D’autant plus qu’un léger souffle chaud, telle la respiration d’un dragon endormi depuis la nuit des temps, emplissait la totalité du volume.

Jukin avançait d’un pas sûr et régulier. Vers la lumière. Il n’était qu’une ombre invisible parmi ce monde sous terrain. On ne remarquait même pas le rythme de ses pas qui semblait être le pouls de cet univers oublié. Inexorablement, il atteignit l’extrémité. Paisiblement dressé, il laissa écouler un instant du temps. Comme coulait à ses pieds un marigot. Il était encore dans le tunnel et en vivait la présence, aussi longtemps que nécessaire.
Il franchit alors le ruisseau et après avoir monté un escalier, il rejoignit une artère principale. Quelques gens éparpillés erraient. Jukin croisa un petit homme triste. Ce serait lui. Il le suivit de près un moment afin d’observer sa démarche misérable. Sous ses yeux se découvrait une chevelure fine, presque transparente, au sommet de laquelle une tonsure commençait à pousser. La vue était imprenable.

En un souffle, le petit homme fût descendu jusqu’à une minuscule crique. On ne pouvait absolument pas la voir en surplomb, ils seraient tranquilles. Paralysé par la peur, rien que quelques gargouillis écorchés sortaient de la gorge de l’homme. De temps à autre, une fine pellicule d’eau de mer venait les fouetter, quand des vagues se brisaient sur la roche à leurs pieds. Jukin n’attendit pas plus. Il planta sa lame dans la tempe de l’homme jusqu’à son poing. C’est lui qui le maintenait debout. L’ayant retirée, le petit homme s’effondra. Jukin se jeta sur lui et enfonça deux doigts dans le trou du couteau. Une fois assez agrandi, il y glissa l’index et le majeur de chaque main et tira de toutes ses forces jusqu’à arracher la face du crâne avec le visage. Il la jeta à la mer.
Un nuage de vapeur fine s’échappa de la cavité encore chaude. Le cerveau semblait toujours vivant. Jukin se releva et écrasa les circonvolutions grisâtres avec son talon. Méticuleusement, il réduit tout en bouillie. Mais il devait faire vite, alors il reprit son couteau et éventra profondément le corps inerte. Après avoir reposé la lame, il ouvrit en deux de ses deux mains le pull découpé, la chemise, le tricot de peau et enfin la poitrine. L’odeur des viscères se répandit dans l’air et déjà des mouettes changeaient de direction vers eux. Le cœur était immobile ! Jukin en fût horrifié.
C’est en ressentant son acte comme inachevé qu’il eut pitié pour l’homme, car sa mort perdait tout son sens. Heureusement, le cœur pulsa lentement. Soulagé, il plaça sa main ouverte juste au dessus et attendit. Quand la nouvelle contraction arriva, il détendit en avant son bras crispé, enroula ses doigts tout autour et broya le cœur aussitôt. Du sang fût expulsé par le trou béant de la tête et probablement par l’anus. Il arracha du corps cette chair molle et pendante dans sa main. Contemplant un moment l’informe muscle sanguinolent, il l’envoya rejoindre le visage au fond de l’océan.
Puis il se recula et l’image du paradoxe de la vie s’imprima en lui. Avant qu’elle ne se fige, il fit rouler le cadavre qui tomba à pic dans les vagues, englouti par l’écume. Des mouettes criaient en fonçant là où le corps avait disparu. Jukin n’était plus innocent. A jamais il serait une autre personne.




(prochain Jukin le 09 novembre)

8 commentaires:

  1. salut,
    elle aurait mérité d'être un peu plus longue cette nouvelle, en tou cas certains passages, j'aurai aimé être tenue plus en haleine, un chouilla....du coup y a un côté enfantin pas choquant mais qui moi me fait décrocher parfois

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  2. Finalement, je ne veux plus de photo dédicassée...

    Non je veux un Jukin pour chez moi directement!

    Quel coquin quand-même de jouer avec les organes des gens!

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  3. JULIE (mettez les prénoms les anonymes, je ne devines pas toujours de qui il s'agit):
    j'essaie dans la mesure du possible de ne pas faire trop long, afin de ne pas décourager les rares lecteurs et car ça fait partie du principe d'écriture que j'ai choisi.
    cependant c'est une question que je me pose, étant donné que les Jukin deviennent de plus en plus longs. Je vais même en scinder un prochain en deux, histoire que des scènes soient moins 'résumées'.

    pour ce qui est du 'suspens', il n'y en a pas ici. Je veux dire qu'à aucun moment j'ai créé une attente par une intrigue ou autre. Il s'agit plus d'un mystère. Ça peut peut être dérouter, car 99% des récits fonctionnent par la création d'une attente. Mais pour ce Jukin, ça ne m'intéresse pas.

    sinon le côté enfantin je ne vois pas honnêtement. Il n'y a pas de digression bizarre ou rigolote ici, le ton est très froid et simple. Alors si ça donne cette impression, c'est râté.

    en tout cas merci de tes remarques, ça me fait réfléchir à ce que je fais.

    YOHANN:
    donne moi ton adresse postale, et je t'en envois un

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  4. bah alors g pas vu le mystère.
    pour le côté enfantin c dur à dire par écrit mais je crois que c le vocabulaire dragon et autre qui moi m'empêche de ne pas digresser dans mon esprit quand je te lis vu que je visualise tes scènes. mais j'aime bien l'idée. j'avais compris pour le format et sur les autres ça ne pose aucun soucis. je te visualise trop quand je te lis et encore plus sur celle là avec le vocabulaire....bref je l'aime bien quand même mais c pas ma préféré....vivement la prochaine (g pas vu la date?!)
    gliglougli ou julie

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  5. a pardon c bon, g vu la date...
    et mon mot de passe pour publier ce commentaire ct préma, je trouve ça dégueulasse....bleuhhhhhhhh

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  6. le mystère dans le sens ou quand le Jukin commence, on ne sait pas où ça va aller, car moi même, quand je le commence, je ne sais pas où je vais aller.
    Bon c'est vrai que pour celui-là c'est un peu annoncé, mais à aucun moment on ne connait ses intentions, on avance un peu à l'aveugle.
    Je vois ce que tu veux dire avec dragon, mais en soit ça n'est pas enfantin, c'est toi qui y projette cet univers. Je ne peux pas contrôler ça et c'est ce qui rend ta lecture unique.
    Le prochain sera animal, ça devrait te plaire !!

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  7. Moi j'aime toujours beaucoup beaucoup ton style ! Par contre, ce Jukin est vraiment glauque. Vous me faîtes un peu peur monsieur !
    Audrelfe

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